En effet, la méditation n'a pas lieu dans le mental mais dans la sensibilité. L'attitude ou la vie méditative est une sensibilisation à l'égard de tout le vécu que contient le corps. C'est une écoute, un regard sans prise ni fermeture : il n'y a rien à refuser, rien à obtenir. C'est un mouvement qui déracine la peur et rend familier tout ce qui se présente. Je dis bien que c'est un mouvement, car cela pousse à interroger, à observer, mais en même temps, il n'y a rien que l'on veuille, il n'y a pas de cible, seulement un accord avec tout ce qui bouge. C'est le silence qui émerge dans le corps, un silence qui n'est pas absence de bruits, mais d'attaches et d'attentes. Absence de toute cette volonté propre qui exerce continuellement son pouvoir fasciste sur la vie. La méditation est nue et ouverte. Elle est vide de savoir et de sécurité. On ne fait qu'écouter, voir, goûter. («Goûtez, dit le psaume, et vous verrez».)
Non seulement «la méditation ne peut naître d'aucune activité mentale» (Thakar), mais elle est le silence du mental et de la mémoire. Silence qui est la sensibilité de tout l'être, un peu comme une de ces grandes soucoupes blanches qui se dressent pour capter les ondes de l'univers. Seul le silence mental permet l'écoute, la sensibilité.
A mesure que l'observation neutre se développe en nous, elle accueille tous les niveaux de l'expérience. Cela se manifeste par une attention progressive au corps, c'est-à-dire aux diverses sensations - lourdeur, légèreté, épaisseur, fluidité, tension, chaleur, ainsi qu'aux couleurs, aux odeurs, aux sons et aux sensations du toucher. L'observation peut se porter également sur les émotions qui se manifestent toujours dans des sensations. Il s'agit de les accueillir sans jugement, ni refus ou apitoiement, ne voulant ni les changer ni les détruire. Pas de théorie, d'intention, pas d'analyse pour en connaître les causes, mais un regard de tendresse et d'amour (On n'écoute pas le corps pour ensuite y changer ce que l'on n'aime pas par un barrage de visualisations et d'affirmations - comme le recommande un livre à la mode). On peut ensuite observer le flot de pensées mais sans s'y fixer, sans vouloir s'en servir dans ses projets d'avenir. En pratiquant cela, on verra que les domaines mental et émotif ne sont pas autre chose que le corps, en ce qu'il est chargé de mémoire. Le mental, c'est le cerveau qui est même, pourrait-on dire, le corps entier.
Mais on devient sensible à l'inconscient également. A travers toute la gamme de sensations corporelles, le soubassement inconscient apparaît à la conscience vigilante : les refus, le non-avoué, les regrets, les remords, les culpabilités - toutes choses qui n'ont pas eu le droit d'exister et auxquelles l'on permet enfin de vivre, de s'exprimer, de bouger en toute liberté. La totalité du vécu monte en surface pour se manifester sans contrainte ni inhibition. C'est sans doute ainsi que faisaient tous les mystiques qui ont précédé l'âge de la psychanalyse. C'est leur ouverture qui laissait le passé remonter à la clarté, libérant ainsi frustrations et rancunes. Ils n'exprimaient pas verbalement leur passé, mais le laissaient venir à leur conscience paisible - un peu comme les rêves qu'on laisserait dans cette zone au-dessous de l'expression verbale au lieu de les expliquer. Or, c'est en effet cette ouverture sans défense ni jugement qui guérit les troubles et traumatismes de l'inconscient. Si on exprime ceux-ci, on ne s'y arrête pas, on n'y revient pas, mais on reste en mouvement, vulnérable comme la vie.
Le regard méditatif, qui est le silence de la Source en nous, habite l'activité du jour comme l'inactivité de la nuit. A mesure que l'attitude méditative s'imprègne, l'action est moins agitée, moins «agie par moi», l'avidité est moins forte et le besoin de sécurité moins pressant. On a cessé de se prendre pour quelqu'un.