La suite du documentaire tente de répondre à la question : comment étendre la notion de « nous » ? La réponse mise en avant est celle de la méditation bouddhiste. Les expériences faites sur la méditation ont, en effet, démontré la plasticité de notre cerveau. Des programmes mis en place dans des écoles défavorisées de Baltimore attestent que la méditation réduit le stress, favorise le contrôle des émotions négatives et augmente la coopération.
A ce stade le documentaire souffre de quelques faiblesses. La solution présentée n’est comparée à aucune autre. Et, nous aurions aimé avoir davantage de détails sur la méditation en question ainsi que des clarifications sur la sémantique.
Serge Tisseron* dans un article publié par le Huffingtonpost (29/02/16) fait remarquer que nous croyons à tort que notre définition latino/anglo-saxonne des mots « empathie » et « compassion » est la même que celle du bouddhisme. Sans reprendre son argumentation, voyons seulement comment il présente l'empathie selon les chercheurs occidentaux qui distinguent trois niveaux : « ...l’empathie affective au fonctionnement rapide et automatique qui apparaît dès la première année de la vie et qui permet de se concentrer sur l'émotion d'autrui au point de l'éprouver soi-même sans se confondre avec lui. Il s'agit donc d'une forme de résonance émotionnelle. Au contraire, l'empathie cognitive est un système lent, délibératif et conscient dans lequel il ne s'agit plus de ressentir les émotions d'autrui, comme dans le stade précédent, mais de comprendre son point de vue en prenant en compte ses différences. Cette posture nécessite d'intégrer un grand nombre d'informations, comme le caractère de l'autre, ses conditions de vie, ses particularités culturelles, etc. Cette prise de perspective cognitive est parfois nommée "compréhension empathique". Mais ces deux composantes ne suffisent pas à créer l'empathie complète. Comme l'a bien montré Martin Hoffman (2008), l'empathie affective risque toujours de faire éprouver les douleurs d'autrui comme si c'était les siennes propres, au point de rendre incapable de lui porter secours. Et inversement, l'empathie cognitive risque toujours d'être utilisée pour manipuler notre interlocuteur grâce à la compréhension que nous en avons. Ce qui est essentiel, c'est la capacité de les articuler l'une à l'autre, de passer sans cesse de l'une à l'autre et de tempérer les dangers de l'une par les vertus de l'autre. Cette "empathie mature", comme l'appelle Martin Hoffman, rend possible le fait de se mettre émotionnellement à la place de l'autre, préfigurant la capacité altruiste. C'est aussi ce que montrent les travaux de Jean Decety, neuroscientifique spécialisé dans la compréhension des bases cérébrales de l'empathie. »
Nous portons donc en nous le potentiel du meilleur et celui du pire : une capacité innée d’altruisme de même que la préférence pour ceux qui sont "comme nous". Et, aux "autres" nous pouvons réserver le pire traitement.
Pour sortir de notre tendance à faire des clivages destructeurs, il est probable qu’il y ait des solutions aussi bien dans les pratiques de méditation et d’entrainement mental que dans l’empathie cognitive, c’est-à-dire l’effort intellectuel de comprendre le point de vue de l’autre. Espérons que la recherche de solutions et la comparaison des méthodes se poursuivra tant le sujet est important. Les connaissances que nous fournissent les découvertes récentes en neurosciences sont déjà, en soi, d’une grande aide pour notre compréhension de nous-même et notre évolution personnelle.
(*) Psychiatre et Psychanalyste, Docteur en psychologie HDR à l’Université Paris VII Denis Diderot (CRPMS)